Bernard Perrut

Bernard Perrut : « Si nous devons tous travailler plus longtemps, encore faut-il pouvoir le faire dans de bonnes conditions. »

Député LR du Rhône, vice-président de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il est intervenu à 10 reprises et a déposé 27 amendements lors de l’examen de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail, adoptée le 17 février 2021 en première lecture à l’Assemblée nationale.

Pouvez-vous revenir sur les mesures phares de cette proposition de loi en termes de prévention collective et d’ouverture vers les TPE-PME en particulier ?
La santé est un serpent de mer du monde du travail, considérée par de nombreuses entreprises comme trop cher et pas assez efficient, et par les salariés comme peu utile. La santé au travail a été réformée à de nombreuses reprises mais la raréfaction de la ressource médicale reste le principal défi de cette politique. Si notre système a permis de diminuer au fil des années la sinistralité liée aux accidents du travail et à améliorer l’indemnisation pour les personnes victimes de maladies professionnelles, ces approches classiques montrent leurs limites, notamment dans la prévention de la désinsertion professionnelle ou la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques ou des affections de longue durée. Plutôt que de poursuivre avec ces mécanismes de réparation à la suite d’un accident du travail, une culture de la prévention doit impérativement se développer.

La proposition de loi pour réformer la prévention en santé au travail procède ainsi d’un accord national interprofessionnel et doit permettre de maintenir la santé des travailleurs en prévenant les risques auxquels ils sont exposés. Plus que jamais nos entreprises ont besoin d’être productives et capables de relever les défis majeurs qui sont devant elles pour traverser la crise économique. Plus que jamais nous devons offrir aux salariés le cadre qui favorisera la prévention et la santé au travail et leur permettra de s’épanouir professionnellement. Bonne santé physique et mentale et bonne santé économique ne peuvent plus être dissociées.

Avec un tissu économique du secteur privé qui se caractérise par le fait que plus de 80 % des entreprises comptent moins de dix salariés, les services de santé au travail ont une place prépondérante dans le système. Il y a une impérieuse nécessité à donner aux futurs services de prévention et de santé au travail les moyens d’assurer un service effectif et cohérent, garantissant l’équité de traitement pour toutes les entreprises et tous les salariés. Sans ajouter une couche supplémentaire de formalisme administratif pour les entreprises, toutes doivent être en capacité de protéger de manière opérationnelle la santé des travailleurs qu’elles emploient.

C’est pourquoi cette réforme impose notamment à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, la rédaction d’un programme annuel de prévention et d’amélioration des conditions de travail, via la généralisation du Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER). Jusqu’à présent, seules celles d’au moins 50 salariés étaient concernées, mais les salariés des TPE et des PME ne peuvent plus être exclus des dispositifs de prévention. Autre mesure, la création d’un passeport prévention pour chaque salarié et apprenti, qui liste toutes les formations suivies (dont les formations obligatoires) et les certifications obtenues par le travailleur en matière de sécurité et de prévention des risques professionnels. Ce passeport sera accessible via la plateforme « Mon compte formation ».

J’espère que les débats parlementaires lors de l’examen de ce texte permettront d’aboutir à un cadre solide pour assurer une cohérence nationale de santé et de prévention au travail et affirmer l’équité de traitement, tout en conservant la souplesse nécessaire pour s’appliquer à des d’activités et à des contextes géographiques très différents.

Vous avez déposé un amendement concernant l’opportunité de prévoir une visite de fin de carrière professionnelle réalisée avant le départ à la retraite du salarié. Quel regard portez-vous sur la prévention spécifique en optique et en audio, la vue et l’ouïe étant deux facultés essentielles pour le bien-être et le bien-vivre au travail ? 
Aujourd’hui 13,4 millions de Français ont plus de 65 ans, ils seraient plus de 22 millions en 2070, et la dépense publique liée à la dépendance devrait ainsi continuer à augmenter. À ce titre, la prévention de la perte d’autonomie apparait comme un enjeu essentiel, tant pour les familles que pour l’État.
Le maintien de la santé quel que soit l’âge est en effet un investissement dans le capital humain et social. Or, les approches conventionnelles des soins de santé se sont concentrées sur les affections médicales, accordant la priorité au diagnostic et à la prise en charge desdites affections. La lutte contre ces maladies demeure importante, mais se focaliser de façon excessive sur celles-ci amène à négliger les difficultés relatives à l’audition, à la vision, à la mémoire, au mouvement et aux autres pertes courantes de capacités intrinsèques qui accompagnent le vieillissement.

L’allongement des études et de la formation, comme de la durée du travail, amène à s’interroger sur la pénibilité et les spécificités du travail des séniors. Car si nous devons tous travailler plus longtemps, encore faut-il pouvoir le faire dans de bonnes conditions. La refonte de la médecine du travail et les différents plans Santé au travail ont mis en avant l’importance de la prévention à tout âge de la vie, afin que chacun puisse bien vieillir. Si les troubles musculosquelettiques et les douleurs de l’appareil locomoteur sont le plus souvent au premier plan et représentent la première cause de handicap et d’inaptitude au travail, le vieillissement des perceptions sensorielles impacte lui aussi la performance des salariés. Réciproquement, l’activité professionnelle peut révéler ou aggraver les conséquences du vieillissement de l’œil et de l’ouïe. Chaque personne se verra donc inévitablement détectée et prise en charge pour ces problèmes de vue ou d’audition qui peuvent devenir de véritables handicaps dans le cadre de l’activité professionnelle.

C’est pourquoi, dans l’esprit de la création d’une visite médicale de mi-carrière qui figure déjà dans cette proposition de loi, j’ai déposé un amendement visant à prévoir la remise d’un rapport sur l’opportunité de prévoir une visite médicale pouvant participer à cet effort de prévention et chargée de détecter toute baisse des facultés auditives, visuelles voire même de la capacité de se mouvoir afin d’envisager des solutions que les entreprises pourraient mettre en place pour limiter les gênes perçues par leurs collaborateurs. Ceci est d’autant plus important pour prévenir les risques après avoir quitté leur activité et s’être engagé dans une nouvelle étape de la vie.

Est-il envisageable que les services de santé au travail s’ouvrent successivement à des collaborations extérieures comme des opticiens ou des dentistes ? Le sujet pourra-t-il revenir à l’ordre du jour des discussions autour du Grand Âge ?
Si le recours à la médecine de ville pour le suivi individuel de certains salariés est évoqué dans la proposition de loi pour réformer la prévention en santé, ces mesures ne font pas l’objet d’un consensus qui permette d’affirmer que les collaborations extérieures des services de santé au travail seront désormais la norme. Les attentes autour du projet de loi Grand Âge et autonomie sont toutefois grandes et les besoins de plus en plus pressants. L’énième report de cette loi envoie un signal très décourageant pour les professionnels du secteur et j’espère que l’examen par le Parlement de ce texte permettra d’aborder chaque enjeu relatif à la perte d’autonomie, y compris dans le cadre de la prévention.

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