Cyrille Isaac-Sibille, député MoDem et rapporteur du PLFSS pour 2022 pour l’assurance vieillesse a répondu à nos questions.
Votre majorité a voté en 2020 la création d’une 5e branche de la Sécurité sociale, afin de couvrir les risques liés à la dépendance qui touchent principalement les personnes âgées, dans un contexte de vieillissement de la population française. Parallèlement, le projet de loi sur le grand âge et l’autonomie, censé concrétiser cette 5e branche, n’a finalement pas eu lieu et des mesures d’urgence ont été introduites dans le PLFSS pour 2022. Ces mesures sont-elles suffisantes pour faire face à l’ensemble des défis posés par la perte d’autonomie des personnes âgées ? Appellent-elles nécessairement à des mesures complémentaires ?
Nous détenons deux records en France : celui de la longévité de l’espérance de vie, mais aussi celui de vieillir en mauvaise santé. Il s’agit donc de comprendre pourquoi et comment y remédier.
La création d’une 5e branche en fait partie. Je suis donc fier de ce que nous avons porté ; d’autant plus fier que j’ai été le premier député à déposer un amendement en faveur de la création de la 5e branche. Il s’agit d’une première pierre, qui amène un financement pour réduire les inégalités, notamment au niveau des valorisations des rémunérations des 900 000 personnes travaillant au service de nos aînés. Et, il est important de le noter, ce sont les métiers qui cumulent le plus d’arrêts de travail et d’accidents.
Je suis convaincu que la santé publique doit avoir une approche collective de la santé, une approche populationnelle. Actuellement, nous dépensons 250 milliards d’euros pour soigner des individus malades, en mauvaise santé. Nous devons prendre le problème à la racine, en agissant et en luttant contre les déterminants de santé (environnementaux, sociaux, individuels, etc.) qui, sans vigilance, peuvent nous amener à tomber malade.
Il y a 13 années d’espérance de vie d’écart entre les personnes qui ont de bons déterminants et une bonne éducation à la santé et ceux qui n’en ont pas. Le grand virage que nous devons entreprendre pour réduire les dépenses et les inégalités, c’est de travailler davantage sur ces déterminants.
Concrètement, il s’agit donc de continuer à valoriser les métiers du grand âge, à améliorer la prévention et à se pencher davantage sur la question de la gouvernance. Il existe encore de trop grandes inégalités entre les territoires. À titre d’exemple, les délais et les moyens de prise en charge changent en fonction des départements. L’État doit se saisir d’un rôle de cadrage national, qui doit ensuite être décliné par département.
2. Un récent rapport de la Cour des Comptes évalue des « résultats médiocres » de la politique de prévention en santé en France, un sujet sur lequel vous êtes investi à l’Assemblée nationale. Quel bilan tirez-vous des dernières lois de financement de la Sécurité sociale dans ce domaine et quelles orientations préconisez-vous pour faire de la prévention une pierre angulaire de notre système de santé ?
Prenons l’exemple du tabac. Depuis 4 ans, la politique d’augmentation du prix nous permet de faire baisser la consommation et, sur le long terme, de réduire toutes les pathologies cancéreuses, cardiovasculaires et neurologiques. Si cette mesure relève de la contrainte, d’autres, comme le NutriScore, sont plus éducatives, autant auprès des individus pour qu’ils se nourrissent mieux qu’auprès des entreprises pour qu’elles travaillent sur des aliments de meilleure qualité. L’extension à 11 vaccins obligatoires relève également d’une approche collective permettant de réduire les maladies. Enfin, le reste à charge zéro permet d’allonger la période d’autonomisation des individus : c’est ce que l’on observe avec les soins dentaires qui permettent de continuer de s’alimenter positivement et d’éviter toute forme de dénutrition.
Nous devons poursuivre cette approche populationnelle de la santé publique qui permet de lutter contre ces déterminants et aller plus loin. C’est l’ambition que nous devons porter dans les années à venir.
3. Vous avez défendu, au cours de l’examen du PLFSS pour 2022, un amendement proposant d’expérimenter une délégation de gestion du pilotage du secteur optique aux complémentaires santé et in fine aux réseaux de soins, afin de « clarifier et simplifier la gestion du secteur ». Alors que la question d’une « Grande Sécurité sociale » a récemment fait l’objet d’une forte résonnance dans le débat public, comment voyez-vous l’avenir du rôle des complémentaires santé aux côtés de l’Assurance maladie obligatoire ? Selon vous, des réformes sont-elles nécessaires pour améliorer l’efficience du système et l’accès aux soins ?
Pour nos concitoyens le système est assez étrange : il faut payer des cotisations pour l’assurance obligatoire et des cotisations pour avoir une complémentaire santé. Aussi, la « Grande Sécurité sociale » est certes une mesure qui pourrait simplifier ce système, comme nous avons commencé à le faire avec la réforme du 100 % Santé et le reste à charge zéro.
Or, l’Assurance maladie va avoir des charges de plus en plus lourdes et va avoir du mal à agir sur les déterminants et la prévention populationnelle. Les complémentaires, notamment via les contrats de groupe, peuvent jouer un rôle important dans l’approche populationnelle. Elles ont prouvé qu’elles pouvaient être innovantes, en mettant en place la téléconsultation par exemple. Ce sont des acteurs souples, équilibrés et proches de leurs clients.
L’Assurance maladie obligatoire est en lien permanent avec les professionnels de santé. Elle connaît donc les malades et les maladies mais elle ne connaît pas les citoyens qui ne sont pas encore malades, contrairement aux complémentaires qui sont moins en relation avec les professionnels de santé mais qui s’intéressent davantage à leurs clients, pour éviter qu’ils ne tombent malades.
S’il faut simplifier le système actuel, il faut cependant éviter de tendre la mise en place d’un monopole et garder ce double système qui permet de favoriser un certain niveau d’innovation, de prévention et d’accès aux soins.