Augmentation des contrats collectifs, encadrement et normalisation des garanties, mise en œuvre opérationnelle du 100 % santé, marge d’innovation et besoins des assurés…
La présidente de la Fédération Française de l’Assurance (FFA), Florence Lustman, nous partage son point de vue sur le rôle des assurances santé au service de l’amélioration de l’accès aux soins des Français.
Suite à l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, la part des contrats collectifs proposés par les employeurs s’est accrue, faisant reculer dans le même temps la part des contrats individuels. En parallèle de ce mouvement, on observe chez les pouvoirs publics une volonté d’encadrement et de normalisation des garanties (contrat responsable, 100 % santé), dont la mise en place peut parfois donner l’impression qu’ils connaissent mal les attentes des assurés et les contraintes des complémentaires. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Depuis la généralisation de la complémentaire santé aux salariés, la part des contrats collectifs s’accroît en effet régulièrement, même si les contrats individuels sont encore majoritaires, toutes familles de complémentaires santé confondues. Au sein des assureurs santé de la FFA, la part des contrats collectifs, qui n’a cessé de progresser – à un rythme plus soutenu que dans les autres familles de complémentaires santé (CTIP et FNMF) –, est aujourd’hui prépondérante.
Je tiens à souligner que le développement des contrats collectifs s’est poursuivi en dépit d’un environnement très contraignant pour les assureurs : réforme du 100 % santé, généralisation du tiers payant, évolutions du cahier des charges des contrats responsables… Cette « hyper-réglementation » n’a pas pour autant conduit à toutes les améliorations de notre système de santé attendues, au bénéfice des assurés.
Conçu à l’origine comme un outil de responsabilisation des assurés, le contrat responsable est devenu aujourd’hui un moyen pour les pouvoirs publics de contraindre les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) à s’aligner sur les politiques de santé publique et de leur faire porter financièrement des mesures comme l’obligation du tiers payant sur la part complémentaire, le 100 % santé…
Dans certains cas, comme lors de l’introduction de plafonds de remboursements des dépassements des honoraires des médecins, la modification du cahier des charges du contrat responsable s’est faite au détriment de l’intérêt des assurés qui ont vu leurs restes à charge augmenter parfois de façon spectaculaire. Ajoutons que cette évolution permanente complexifie la lisibilité des remboursements et la compréhension des garanties par les assurés.
Enfin, cette uniformisation et normalisation des couvertures complémentaires est en totale contradiction avec la personnalisation voulue sur le marché des assurances collectives, qui est un mouvement de fond et d’ampleur depuis l’ANI. C’est pourquoi, nous considérons que cette tendance à « sur-réglementer » doit s’inverser et qu’il convient de libérer le potentiel des assureurs santé pour en faire des alliés utiles au service de l’amélioration de la santé des Français.
La réforme du 100 % santé, entrée progressivement en application depuis 2019, a eu des conséquences importantes pour les organismes complémentaires, en optique et dentaire mais aussi en audioprothèse avec l’explosion de l’équipement. Finalement, les OCAM ne sont-ils pas les premiers financeurs de la réforme ainsi que ceux qui ont le mieux accompagné leurs assurés avec les réseaux de soins ?
La réforme du 100 % santé, intégralement mise en œuvre depuis le 1er janvier 2021, apparaît comme un succès dans l’amélioration de l’accès aux soins des Français. L’objectif poursuivi – diminuer les renoncements aux soins pour des raisons financières en dentaire, optique et audio – est en grande partie atteint. En effet, pour les soins dentaires, plus d’une prothèse dentaire sur deux appartient au panier de soins sans reste à charge. De même, près de 30 % des équipements en audioprothèse concernent la classe I. En revanche, en optique comme nous l’avions anticipé, l’impact de la réforme est moins significatif en raison des nombreuses offres sans reste à charge qui existaient déjà dans le cadre des réseaux de soins mis en place par les assureurs santé.
Il est certain que l’assurance complémentaire santé est un acteur incontournable dans l’élaboration de la réforme et dans sa mise en œuvre. Elle contribue aujourd’hui à son succès. Sans couverture par les assureurs santé, l’accès aux paniers 100 % santé n’est pas possible.
Cela étant dit, cette évolution ne s’est pas sans conséquences pour les assureurs. En termes d’organisation, tout d’abord. Les complémentaires santé ont su s’adapter et effectuer rapidement la mise en œuvre opérationnelle du 100 % santé, pourtant complexe, tout en garantissant la qualité des soins et équipements proposés. Financièrement, ensuite. Le succès de la réforme ne doit pas faire oublier que cette dernière a un coût pour les complémentaires santé qui en sont les premiers financeurs. Rappelons qu’à l’origine, l’équation économique présentée par le Gouvernement devait aboutir à un impact modéré, voire nul, pour les complémentaires. Or, pour l’année 2020, le coût additionnel pour les assureurs de la FFA est estimé à 120 millions d’euros. Et pour l’année 2021, les chiffres du premier semestre montrent une hausse des coûts très importante (+ 9 % des prestations versées par rapport au premier semestre 2019) avec une montée en charge inédite des taux de recours en audioprothèses (+ 100 % sur la même période) et en dentaire (+ 45 %).
La Cour des comptes vient de rendre public un rapport sur notre système de protection sociale, qui met en avant son haut niveau de couverture tout en soulignant la persistance de disparités ou d’inégalités. Quels sont, selon vous, les défis que les organismes d’assurance complémentaires ont à relever et quels freins faudrait-il lever ?
Notre système de santé est confronté à plusieurs défis majeurs : difficultés réelles d’accès aux soins pour un grand nombre de nos concitoyens d’un point de vue financier, géographique ou qualitatif ; inégalités des Français dans l’accès à l’information pour s’orienter dans leur parcours de soins. Le vieillissement de la population et le développement des affections longue durée pèsent également lourdement sur la dépense publique. Enfin, les politiques de prévention au service de la santé publique doivent être complétées par des initiatives plus transversales et personnalisées.
Or face à ces défis, l’assurance maladie obligatoire ne peut agir seule. L’idée d’une réforme du système de santé en faveur d’une « grande sécu », qui n’est rien d’autre que la nationalisation du système de santé, ne répond nullement aux enjeux économiques et sanitaires auxquels nous sommes confrontés. Cela irait à l’encontre des attentes des Français qui aspirent à un système de santé qualitatif permettant des parcours de soins personnalisés. En outre, cette évolution ne pourrait qu’amplifier les effets de l’inefficience du système, constatés depuis des décennies en matière de déficit et de dette publics.
Dès lors, nous considérons que c’est au contraire une évolution vers un renforcement du rôle des organismes complémentaires santé que nous devons privilégier. Couvrant 96 % des ménages en France, les complémentaires santé ont d’ores et déjà démontré leur valeur ajoutée dans l’accès à des soins essentiels, à des services d’orientation et d’accompagnement efficaces pour leurs assurés, ainsi que dans le pilotage du risque pour une meilleure efficience de la dépense, ou encore à travers des initiatives en matière de prévention et d’innovation technologique.
Nous pensons donc que le rôle des assureurs doit être élargi et que les contraintes réglementaires, qui ont été de plus en plus lourdes ces dernières années, doivent être assouplies pour laisser aux complémentaires santé plus de marges d‘innovation.
Le développement de partenariats accrus entre assureurs et professionnels de santé – notamment au sein de réseaux de soins – pour innover dans les prises en charge des assurés, est une voie vers laquelle il faut également s’engager davantage.
Dans les réflexions en cours sur l’évolution du système de santé qui doivent donner lieu à un rapport du Haut Comité pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM), il nous semble que l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire pourrait être revue afin d’améliorer la compréhension du système par les Français, libérer les parcours de soins, et mieux maîtriser la dépense publique.
Enfin, la Cour des comptes considère qu’il subsiste des disparités ou des inégalités dans l’accès à la complémentaire santé. À mon sens, il convient surtout de rappeler les progrès récents que les assureurs ont réalisés au bénéfice de leurs assurés, comme l’engagement pour la lisibilité des garanties et le développement des services adaptés aux attentes des Français. Ce sont autant de leviers qui permettent d’offrir, à tous les assurés, des avantages prévus par leurs contrats et un moyen de lutter contre les disparités.
Cela étant dit, il demeure trois publics dont le taux d’effort pour acquérir une complémentaire est important – seniors, étudiants et chômeurs – et nous ferons prochainement des propositions afin d’éviter leur risque de renoncement aux soins.