Ghislaine Alajouanine

Ghislaine Alajouanine : « Les Français attendent de la télémédecine et, par extension, de la télésanté et de l’ENS, qu’ils répondent à leur souhait d’une médecine des 6P : proche, prédictive, participative, personnalisée, plurielle et préventive. »


Ghislaine Alajouanine est connue comme « Madame Télémédecine » et préside, entre autres, l’Académie francophone de télémédecine et eSanté ainsi que le Haut Conseil français de la télésanté. Elle revient pour Carte Blanche Partenaires sur la révolution de la télésanté.

Quelles réflexions vous inspire l’essor de la télémédecine ?

Avec le big bang provoqué par la Covid-19, nous avons été précipités dans une nouvelle ère avec des téléconsultations multipliées par 100. La première semaine de mars 2020, nous étions à un million de téléconsultations contre 10 000 un an plus tôt. Les médecins ont sollicité la télémédecine parce qu’ils ont été contraints, en pleine pandémie, de trouver des solutions au plus vite pour freiner et éviter les contaminations ! Pour autant, les patients qui en ont fait l’expérience ont découvert l’efficacité des outils qu’elle propose et le virage est irréversible.

L’intelligence artificielle (IA), inhérente à la télémédecine, est devenue l’alliée des personnels de santé. Même si elle n’en est qu’à ses balbutiements, ses perspectives sont infinies. Elle peut mesurer à distance des constantes corporelles, comme la fréquence respiratoire et cardiaque ou la saturation, mais aussi des constantes biologiques en aidant à poser le diagnostic. Le médecin tire également mieux parti de son temps au bénéfice de son patient.

Je me bats depuis des années avec mes consœurs et confrères de notre Académie pour défendre l’idée qu’il vaut mieux faire voyager les données que les patients ! Le numérique fluidifie les échanges de la chaîne de soins et permet de maintenir un lien dans des situations particulières : sortie d’hospitalisation ou de maternité, post chirurgie ambulatoire, etc. À cet égard, la télémédecine constitue aussi une mesure barrière importante.


J’aimerais convaincre que la relation patient-soignant peut se faire à distance pour favoriser un meilleur accès aux soins tout en restant dans son lieu de vie choisi, y compris le plus reculé, le plus longtemps et le mieux possible ! Rien ne remplacera cependant l’examen clinique : la télémédecine n’est pas un substitut, mais un complément et l’empathie est tout autant l’âme de la médecine que de la télémédecine.

Comment la télésanté peut-elle être intégrée de manière pérenne et intentionnelle dans le parcours de soins et en quoi peut-elle aider à répondre aux défis de notre système de santé ?

La télémédecine est une composante de la télésanté. Si les acteurs du parcours de soins en télémédecine sont bien identifiés, il reste à nommer les nouveaux acteurs dans la globalité de la télésanté. Potentiellement, en calquant la télésanté sur l’ENS, les aides ménagères, auxiliaires de vie, assistants de soins, assistants de télémédecine dans les maisons de santé communales, les services à domiciles entreront à terme dans le giron de la télésanté. 

Dans le cadre de la télémédecine, les transmissions sont le facteur primordial de relation entre les acteurs et les patients. Les outils doivent être communs entre les composantes de la télésanté mais les circuits doivent être distincts. Pour la télémédecine, vectrice de données sensibles, une fréquence dédiée et sécurisée devrait être mise en place pour assurer la bonne communication entre les acteurs.

In fine, les données médicales et les données de santé regroupées dans l’ENS personnel sont stockées dans un serveur unique. La télémédecine étant dépendante du flux d’informations, il faut pouvoir garantir son fonctionnement même en cas de circonstances exceptionnelles (accident électrique d’ampleur, piratage des réseaux informatique, etc.).

La solution pourrait reposer sur la création d’un réseau de santé global (RéSAG) et d’une fréquence dédiée en santé capables de procurer à tous les soignants et personnels de secours une accessibilité aux informations de santé et une interopérabilité des matériels. Cette évolution ne transigera pas sur les exigences de sécurité et d’éthique. Elle doit se faire avec une garantie pleine et entière de la protection des données de santé RGPD et la mise en place d’une surveillance par la CNIL. Les structures d’accueil et les plateformes seraient situées au niveau des mairies et des intercommunalités, qui dialogueraient avec le système centralisé au ministère. Il y aurait ainsi un unique point d’entrée vers les professionnels de santé ou leurs collaborateurs.

Cela suppose une refonte en profondeur de l’architecture décisionnelle de la santé avec des informations à la fois descendantes et ascendantes du ministère vers les plateformes décentralisées. En cas de danger, je préconiserais un véritable « électrochoc salvateur » avec l’intervention d’un Fonds de solidarité revalorisant public-privé (F2P REVA), abondé à parties égales par l’État et les assureurs. Il servirait, entre autres, à valoriser les acteurs du parcours de soins en les rémunérant au plus haut niveau européen, à soutenir l’innovation et à agir pour un plan quinquennal « zéro déserts médicaux ». Les plateformes seraient gérées par des employés formés aux nouveaux métiers du numérique. À ce sujet, nous menons des travaux au sein de notre Académie sous l’égide de l’Institut de Télémédecine pour proposer des formations courtes et concrètes aux personnels soignants (médecins, infirmiers, sage-femme, aides à domicile…). Ce cursus serait valorisé par un label « télésanté », attribué par un tiers de confiance, qui donnerait lieu à une augmentation de salaire pour être incitatif. Les personnels soignants, en devenant les ambassadeurs de la télésanté, aideront les patients à accepter le concept, à se l’approprier et surtout à savoir l’utiliser pour pérenniser son développement et en faire une pratique de soins « choisie » et non « subie ». Les pouvoirs publics devront toutefois accompagner résolument ces démarches.

Comment l’arrivée de l’espace numérique de santé (ENS) va-t-il transformer le quotidien des assurés et des acteurs du système de santé ?

Avant d’être utilisé comme un outil statistique, l’ENS doit être décentralisé avec des structures de réponse et d’accueil sur le territoire. Il ne faut pas occulter que les Français attendent de la télémédecine et, par extension, de la télésanté et de l’ENS, qu’ils répondent à leur souhait d’une médecine des 6P : proche, prédictive, participative, personnalisée, plurielle, préventive. L’ENS doit aussi répondre à la fracture numérique et être intuitif pour tous.

En synthèse, je dirais que les trois solutions que sont l’ENS, la télésanté et la télémédecine sont très étroitement imbriquées :

– Pour le citoyen, un seul point d’entrée pour plus de simplification, plateforme physique en mairie (lieu dédié) ou liée à l’intercommunalité. Ce point d’entrée doit être décentralisé, accessible physiquement ou dématérialisé. Les outils doivent être unique, simple, ergonomique.

– Pour les personnels de santé une seule plateforme commune pour dialoguer, une fréquence dédiée pour la partie strictement médicale,  

– Pour les personnels œuvrant en télésanté et ENS, une seule plateforme commune.

Le ministère doit définir au préalable les objectifs à long terme et engager une restructuration en profondeur pour une meilleure efficience et des gains de productivité. L’ENS est un pourvoyeur de données de santé précieuses.  

Un cahier des charges de recueil des données de santé permettrait aux industriels d’orienter leurs transmissions vers le datacenter gouvernemental. L’exploitation, par les parties prenantes, de ces données via l’IA sera une source fondatrice de la médecine du futur à condition de reposer sur des règles utiles et judicieuses. L’IA a changé la donne. Avec cette avancée technologique, nous faisons voyager les données plutôt que les patients. Si elle n’en est qu’à ses débuts, elle sera à l’avenir un allié majeur pour le développement de la télémédecine, sans pour autant remplacer le médecin. Nous assistons à une révolution dans la manière de soigner qui va radicalement transformer le quotidien des assurés, des assureurs et des acteurs du système de santé. Un défi de taille pour les années à venir !

Ce contenu vous intéresse ? Partagez-le :

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut