Thierry Bour : « Encourageons la création d’équipes de soins autour des ophtalmologistes ! »

Pour faire face à un afflux croissant de patients, le mode d’exercice des médecins ophtalmologistes a fortement évolué. Cabinets aidés, nouveaux protocoles organisationnels, développement des rendez-vous en ligne… le Dr Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologistes (SNOF), analyse les différentes mutations à l’œuvre.

Le développement du travail aidé, qui permet à l’ophtalmologiste d’être appuyé par d’autres professionnels de santé au sein de son cabinet, a permis d’augmenter le nombre de prises en charge. Comment poursuivre la dynamique ?
60 % des ophtalmologistes exercent désormais en cabinet aidé alors qu’ils n’étaient que 2 % au début des années 2000. Résultat : en moins de 20 ans et à effectif quasi constant, les ophtalmologistes ont pu prendre en charge près de deux fois plus de patients !
L’année 2015 a marqué un tournant décisif dans le développement du travail aidé, avec un soutien fort des pouvoirs publics pour faciliter la délégation de tâches entre ophtalmologistes et orthoptistes salariés. Plus de la moitié des cabinets aidés reposent aujourd’hui sur ce binôme de professionnels.
La prochaine étape consiste désormais à favoriser la création d’équipes de soins autour de l’ophtalmologiste. Avec l’arrivée d’auxiliaires supplémentaires et la création de nouvelles délégations de tâches, l’ophtalmologiste pourra libérer encore plus de temps de prise en charge. Les aides infirmières pourraient par exemple intervenir au bloc opératoire, ce que ne peuvent pas faire les orthoptistes. La création des assistants médicaux, au double profil soignant et administratif, s’impose également. Cette proposition, lancée par le SNOF en 2006, a été reprise au sein du projet de loi santé en cours de discussion ainsi que dans les négociations conventionnelles.
Le développement de ces équipes structurées pourrait être encouragé par la mise en place de contrats d’aides plus souples que ceux définis en 2016 et de tarifs ajustés, en échange de quoi l’ophtalmologiste s’engagera à assurer davantage de prises en charge.

Quel bilan tirez-vous des nouveaux protocoles organisationnels ?

Ils sont indispensables pour libérer du temps médical et ainsi réduire les délais d’attente et favoriser la prise en charge de nouveaux patients. C’est le cas du protocole RNO*, entré dans le régime commun en 2018. Il permet aux orthoptistes, salariés ou libéraux, de réaliser un bilan visuel au sein du cabinet dans le cadre du renouvellement ou de l’adaptation des corrections optiques, et ce en l’absence de l’ophtalmologiste et sans demande d’autorisation administrative préalable. Dans les cabinets qui l’ont mis en place, cela a permis de réduire les délais d’attente pour les ordonnances de lunettes de plusieurs mois à 15 jours, tout en maintenant un dépistage médical de la population par la lecture en différé du dossier par l’ophtalmologiste.
Les protocoles ont aussi entraîné une articulation plus fluide de la prise en charge entre l’ophtalmologiste et ses auxiliaires. L’orthoptiste peut désormais effectuer des tâches en amont, pendant et en aval de l’intervention de l’ophtalmologiste, sans passer par une dérogation au décret d’actes des orthoptistes. Le cadre protocolisé a par ailleurs supprimé l’obligation d’ordonnance médicale pour chaque acte orthoptiste réalisé.

Quels protocoles doivent désormais être mis en œuvre ?
Il nous semble déjà prioritaire d’étendre le protocole RNO jusqu’aux patients de 65 ans et non plus 51 ans comme c’est le cas actuellement.
Pour améliorer et fluidifier la prise en charge des patients chroniques stabilisés, de nouveaux protocoles doivent également faciliter le travail entre professionnels exerçant dans différents lieux via la téléexpertise.
Les besoins sont également importants en EHPAD, où de nombreux résidents ne sont plus suivis une fois arrivés au sein de l’établissement. Pour restaurer ce lien avec l’ophtalmologiste, la constitution d’équipes pluridisciplinaires, comprenant à la fois des orthoptistes, des infirmiers, les médecins coordinateurs en EHPAD et des opticiens, doit être envisagée. L’ophtalmologiste effectuerait les analyses de dossiers à distance, à l’exception  des cas où un examen physique s’imposerait.

Quels autres leviers permettront de limiter les délais d’attente ?
Nous attendons avec impatience l’arrivée imminente d’un nouveau système pour favoriser l’exercice multisite des ophtalmologistes.
Mais il est aussi indispensable de former plus de médecins. Avec la présence de 17 % d’ophtalmologistes à diplômes étrangers en France et le succès du cumul emploi-retraite, la profession a enrayé jusqu’ici la chute de sa démographie. Mais les ECN** doivent créer plus de postes que ce qui est prévu aujourd’hui. Au moins 200 postes d’internes annuels sont nécessaires pour répondre aux besoins et il faut maintenir l’effort de formation sur la durée. En parallèle, il est crucial de développer les stages en cabinet libéral pour les internes et les assistants sur l’ensemble du territoire. Nous œuvrons par ailleurs pour développer la prise de rendez-vous en ligne. Nous espérons passer de 40 % à 60% d’ophtalmologistes inscrits sur ces plateformes d’ici à deux ans. Grâce à leur service de confirmation de rendez-vous, elles permettent de réduire les consultations non honorées par les patients. Elles contribuent aussi à libérer du temps de prise en charge en mettant immédiatement en ligne de nouveaux créneaux disponibles en cas de rendez-vous annulés. Ces plateformes offrent également un moyen simple et efficace de créer des plages de consultation pour les demandes nécessitant une réponse rapide ou les patients qui n’ont plus d’ophtalmologiste, après un déménagement par exemple.

*Renouvellement d’Optique
** Epreuves Classantes Nationales

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